Ultra di Corsica



Capitellu et Melu
La fameuse douleur au tendon d’un des releveurs du pied gauche est revenue subitement pendant le mondial, un soir de vma au soleil dans une  côte raidasse où je m’étrillais gentiment en un I5 pyramidal de bonne facture, celui qui fait sortir les yeux, baver et exploser les muscles intercostaux par des poumons en recherchent d’oxygène salvateur… bref, j’ai mal pour de bon.

Le lendemain et le jour suivant pas mieux, douleur installée ça ne va pas passer juste par ma volonté et le repos. Comme ça passe en montée mais pas en descente, j’opte pour une séance bourrine, des rotations en cabine, 500md+ sur 2,4km, 40min pour montée 10min de récup dans la benne, dans le brouillard… c’est pas très glorieux mais ça marche, les mecs des cabines commencent à me regarder bizarre à la 5ème benne.

La dernière descente est faite à pied, la douleur revient illico, je ronge mon frein et mise pour la dernière semaine sur du repos et l’osteo… le gros de l’entrainement est fait, les ambitions sont revues à la baisse, désormais finir l’ultra di Corsica serait déjà bien, sans trop souffrir de cette tendinite encore mieux, pour le reste on verra.

On débarque à Bastia dérouté pour cause de vent fort et de houle, avec 2h30 de retard, on arrive quand même à 22h10 à trouver un bon camping par hasard à St Florent, on est mercredi 9 juillet, reste 48h avant le départ.

Depuis cette blessure, la pression est étonnement tombée, je suis relax comme ci cela n’avait plus aucune importance. Tout le monde me rappelle que mon objectif est le TOR et que je ne dois pas me cramer, ils ont tous raison. Le coach croise les doigts.

Je ne connais pas un seul caillou ou centimètre de cet ultra de 110km et 8000md+ et pourtant je suis cool, ce qui me permet de me détendre un max, le bateau m’a permis de faire la sieste bercé par la houle.

A raison de 4 litres de malto par jour j’ai le bide rond, la vessie dilatée.

 Après une journée plage on trace de nouveau la route le vendredi pour Corte, plus exactement un camping très sympa à Venasco éloigné du tumulte de la course, ici pas de traileurs, juste des vacanciers paisibles, c’est mieux pour se détendre, la vue est magnifique.

Je récupère mon dossard à Corte, les femmes se moquent de moi car n’ayant pas noté ma taille de T Shirt, je demande à Céline si ça l’intéresse de l’avoir, elles insistent pour me dire « monsieur vous faites du L ! C’est incroyable il demande à sa femme quelle taille il fait, il est vraiment nul », je reviens donc avec un T Shirt L et de jolis lots (vin, bière, miel et le meilleur saucisson de l’île faudra me donner l’adresse) même plus besoin de prendre le départ.

Retour au camping dans l’am, histoire de préparer mes ravitos, je parts en autonomie complète avec dans le sac de départ, 12h de bouffe (gel, barre, poudre) jusqu’au col de Vergio là j’aurais un sac relais dans lequel je laisse des fringues et 10h de bouffe.

Couché vers 9h, vaguement endormi à 10h, levé à 10h30, dans la caisse vers 11h10, à Corte à 11h40, bonne ambiance, il fait chaud, je dis bonne nuit à Céline et Tiago qui rentrent au camping après le départ, ensuite j’essai de me frayer un passage dans la ruelle qui mène sous l’arche, c’est étroit les spectateurs se mélangent aux traileurs.

Il fait chaud, le speaker demande aux filles de se placer en première ligne, les gros machos ont du mal à s’écarter et pourtant elles vont en fumer du traileur…

Corte – Corte : 1ère boucle (14km / 800md+ / 1h44)

Corte
Le départ est donné à minuit, ça part vite dans les rues. Besoin de détendre les jambes en courant, je suis dans un paquet des 20 à 30 premiers sur les 116 coureurs, assez rapidement ça s’étire. Mon lecteur mp3 tout neuf me fait des complications, le volume est bloqué et il s’éteint après chaque morceau, je misère pour le son, finalement j’arrive à le verrouiller pour avoir de la zic en non stop. Mon mollet droit semble fouloir me claquer une crampe m’obligeant à raccourcir ma foulée ou mon rythme.

On attaque la 1ère bosse, je suis en tête d’un petit groupe et je me trompe d’itinéraire, ce qui fait marrer un local qui me suit et m’indique la direction à prendre. Au dessus les faisceaux des frontales me permettent de m’orienter. Cette 1ere montée présente quelques portions bien raides mais courtes. J’avance bien tout en étant bien relax, 44min pour basculer en descente (9min d’avance).

La descente est d’abord technique, je m’applique à ne pas trop taper et économiser un max mes quadri et je redoute par-dessus tout la tendinite, alors tranquille et déjà un peu seul, j’avance vers Corte, des spectateurs nombreux nous encourage dans les passages compliqués (tunnel) ça fait du bien surtout de nuit et puis ça me permet de calculer l’écart avec mes poursuivants. La remontée sur Corte fini par un petit tronçon de route, 1h depuis le sommet, 14min d’avance. Tous les voyants sont au vert.

Les 4 premiers passent en 1h27 je suis au-delà des 15.


Corte – Calaccucia (21,5km / 1551md+ / 3h40)

Après avoir remis de l’eau dans le sac, je repars avec de bonnes sensations, pas de soucis particulier, même le mollet droit semble maintenant chaud, donc le moral est bon. La nuit étoilée, il fait chaud, les encouragements des gens en terrasse sont bons à prendre, il me faut quand même chercher l’itinéraire dans les rues, les rubalises sont éparses.

Après les dernières maisons, les derniers spectateurs nous encouragent à attaquer la 1ère montée sérieuse de la course celle qui nous mène aux bergeries de Padule (5,2km pour 1170md+). La montée ne me provoquant pas de tendinites je l’attaque avec plaisirs, c’est raide faut juste marcher. Mes bâtons m’aident à garder le rythme et l’équilibre, un Corse Dumé me rattrape on papote un bon moment ça me fait du bien, on double même quelques coureurs.

Lors d’une  première bascule je refais un lacet et laisse filer Dumé qui avance bien, je n’arrive pas à le suivre ce n’est qu’au ravito de Padule (3h25 de course, 17min d’avance) que j’arrive à le revoir.

A ce ravito, je croise 2 Basques j’interpelle le 1er sur l’Euskal trail, il me répond sans me regarder qu’il ne l’a pas fait, et m’indique que son pote l’a fait (celui-ci ne m’adressera pas la parole). Autant dire que je saurai m’en souvenir et que désormais j’ai un objectif, finir devant ces deux là…

Dumé m’avait indiqué que la suite est plus roulante avant de descendre sur Calaccucia, c’est le cas après le ravito, il faut passer un col, au loin je vois les deux Basques avec un autre coureur. La descente après le col permet de rejoindre une piste roulante avec quelques bosses.

Sur cette partie je sais qu’il ne faut pas lâcher, toujours courir ne pas marcher pour gagner du temps, je suis maintenant bien en jambe je finis par doubler les Basques, celui que j’avais interpellé en 1er me suit de près, il me double mais je reste de marbre dans ma bulle à mon rythme avec quelques relances dans les bosses, il fini par craquer un peu, je bascule donc seul dans la descente vers Calaccucia, en ayant doublé beaucoup de coureurs sur la piste.

Le jour commence à se lever faiblement, le sentier est tapis d’épines de pins, je cavale bien et tente de distancer mes poursuivants.

A la sortie de la forêt je fini par rattraper un coureur qui vient de trébucher, il me suit puis me double sur le bitume, on échange à peine et on file dans les premiers hameaux au bord du lac, je lui indique que je ne vois plus de rubalise, on trace toujours jusqu’à tomber sur une personne qui nous indique la direction à suivre, toujours du bitume puis soudain une marque à gauche qui part dans une montée. On monte à bloc jusqu’à croiser le Basque qui lui descend !!

Tous ces efforts en vain, l’avance a fondu, une douleur au bide me contracte l’estomac j’ai du mal à suivre mes deux compagnons de route qui ne trainent et file rapide vers le ravito, j’y arrive dans la minute.

Ils ont leur assistance, je bois un verre d’eau qui sera un bon remède pour faire passer la douleur, je demande le classement on est 9, 10 et 11ème. 34,9km et 2300md+ de faits, les voyants sont au vert et j’ai la niaque, le jour c’est le levé, 5h32 de course. Le 1er est passé en 4h30.


Calaccucia – Col de Vergio (29km / 2800md+ / 6h15)

Je repars 9eme quand un couple d’Italiens sponso Technica débarque, il y a Roberto Beretta (18eme au TOR en 2013). Les écarts sont encore maigres, je m’applique à relancer sur le bitume pour garder un peu d’avance. Peine perdue, une nouvelle fois à la sortie des dernières maisons je rate le marquage et les deux coureurs qui me précédaient à l’arrivée du dernier ravito sont une nouvelle fois devant, j’enrage et me calme en coupant à travers le maquis, un gros taureau pas loin fait bien de ne pas trop s’intéresser à moi…

En les rattrapant je les remercie on se suit les Italiens ne sont pas loin, décidément les écarts sont faibles, je force un peu avant d’arriver au ravito d’Astradella car je ne suis pas dans mon rythme avec les deux autres, on ne se parle plus.

A Astradella, le Corse nous pointe en manuel (10ème en 6h47) comme partout sur le parcours, je prend le temps de m’assoir et de remplir à nouveau ma gourde, les deux autres ont déjà filé sans rien dire, je pars à mon tour quand les Italiens arrivent, sans trop de difficulté je rattrape les deux autres.




Maintenant la course prend un nouveau tournant, fini de jouer à la course à pied, on attaque la montagne en commençant par bocca Crucetta (2411m), c’est raide, des dalles à franchir en posant les mains, des gros blocs à gravir en autant de marches qui fument les quadri, mes deux compagnons ralentissent, le Basque annonce qu’il faut maintenant respirer un bon coup, il a raison, j’en profite pour attaquer dans le plus dur et ne rien lâcher jusqu’au col. Ils décrochent, je suis à bloc, traversée de névé pour soulager les pieds.

Au lac sous le col dans un immense cirque j’entends les bénévoles hurler pour m’encourager à grimper dans le pierrier, ça me donne des frisons, je redouble d’énergie, la ventilation à bloc je grimpe et observe qu’il y a de nouvelles têtes qui me suivent 200m de dénivelé plus bas.

Mon frère m’envoi 2 messages sur les classements avant 8h, le suivi live est rudimentaire mais ça me suffira pour la suite.

bocca Crucetta
Je suis bien heureux de cette première bataille, maintenant on doit rattraper le fameux GR20 après une descente de 3km pour 1000md+. Ca commence par un pierrier où j’essai de ne pas tomber en avançant le plus vite possible, je me retourne, deux silhouettes passe le col.

descente vers Ballone
Avancer du mieux possible sans se cramer, difficile équation surtout que je n’ai plus d’eau, j’arrive sur des dalles le balisage est léger, il y a des cairns dans tous les sens, j’improvise et décide de tracer droit entre les cairns, c’est comme ça que je retrouve à d’escalader une dalle merdique avec à ma gauche une famille de randonneurs qui le regarde ébahi par tant de conneries et à ma droite une traileuse qui me dépose tranquille en se sautillant sur le sentier, je fini par poser mes deux pieds sur le bon chemin un peu vert de m’être paumé ainsi. La fille file vite avec facilité, elle connait exactement le chemin je n’ai qu’à la suivre pour éviter de gueniller, ça me permet aussi de distancer les autres.

J’arrive à Ballone quand elle repart, je fais le plein d’eau, il fait très chaud et je commence à me déshydrater. Personne en vue, je suis soulagé. Les deux bénévoles m’annoncent 9ème en 9h06, surpris, ils m’expliquent qu’un coureur a abandonné. Le 10ème est à 6min et la 8ème à 1min avant mon arrêt (elle finira 4ème).

J’ai hâte d’arriver au col de Vergio, il me reste 12km et Bocca di Foggiale à passer. Je suis d’abord optimiste et retrouve un rythme plus cool, la fille a bien tracé je ne la vois pas, la foret est très sympa et le Gr 20 bien rude (pensée Philippe et Jo : la vache vous avez fait fort).

Quelques randonneurs m’encouragent c’est bien sympa d’autres ne me regardent pas, difficile d’échanger deux mots, la montée de Bocca di Foggiale est terrible, grosse chaleur et je n’ai plus d’eau (déjà). Des randonneurs m’annoncent deux traileuses à 10min devant, ça me motive, je fini enfin par passer ce col après 10h22 de course (55,8km et 4450md+).

La descente est assez cool dans de grandes prairies je crois voir un coureur au loin il s’agit juste d’un randonneur, assez souvent je me retourne craignant le retour des autres il me semble deviner un coureur qui entame la descente 1km après moi, comment le savoir. Je suis maintenant assoiffé, la gorge sec, la transpiration qui me pique les yeux, ça commence à être difficile, encore 1h20 depuis le dernier col pour atteindre péniblement Vergio, sans compter les promeneurs qui insistent pour que je leur indiquent la bergerie se mettant en travers de ma route, comment leur dire… « je sais pas, oui » ou même ceux qui m’interpellent dans leur langue, « je comprend pas ». Les bergers eux apprécient modérément mes excuses quand je déboule au pont en les croisant dans leur montée étroite…

Enfin Vergio, le soulagement d’y être les spectateurs m’applaudissent ça me fait du bien. Laurent m’avait prévenu qu’il ne viendrait sans doute pas en VTC depuis Porto, en même temps il les a tellement tordu ces vélos de loc avec ses quadri surdim’ pour préparer le tri de l’Alpes d’Huez, qu’en venant ici, au mieux il serait reparti à pied, le VTC sous le bras.

Je rentre dans la tente un peu ahuri, les médecins sont au taquet pour me calmer, la médecin me force à m’assoir tout en prenant mon pouls et fait signe à son collègue que c’est ok, lui me fait boire des verres d’eau gazeuses au sel, ça passe mieux que j’aurai cru. Pendant ce temps on me propose des compotes des minis sandwichs etc etc. Je bourrine pour me changer, refaire mon sac. Les bénévoles assurent grave, prennent ma poche à eau la remplissent, me donnent à manger, ils sont 4 à fond, j’ai l’impression d’être dans un stand de formule 1.

Tous m’invitent à prendre mon temps, on me dit que les autres on prit 30min, je n’y crois pas et vais me lever avant l’heure, ils sont rassurer j’ai l’air mon sec qu’en rentrant…ils me mettent en garde sur bocca alle Porte.


9ème 11h40 (suivi de 11min d’arrêt, encore 8min d’avance sur mes prévisions en repartant). 63,5km 4500md+, les voyants ne sont plus au vert, ils virent à l’orange…coup de chaud.

Le 8ème est arrivé à 11h22, le 10ème arrivera en 11h53. Le 1er a mis 9h53.


Col de Vergio – bergerie de Grotelle (24km / 1800md+ / 5h32)

Je repars à nouveau sous les encouragements des spectateurs, une certaine émotion me gagne ou c’est la chaleur qui m’assomme à nouveau, aucun coureur n’est arrivé pendant cet arrêt.

Les médecins m’indiquent 14km, jusqu’au lac Nino, je commence à dérailler je pensais à 10km, je ne suis pas très lucide sur les chiffres. J’espère juste mettre 2h. Mon sac est lourd, ils m’ont chargé en flotte à bloc, j’ai du mal à courir avec. Le sentier est assez roulant jusqu’au pied de la montée de Bocca â Reta, là c’est de nouveau en marchant arcbouté sur mes bâtons que je m’applique à être efficace, le brouillard couvre la cime, plus bas toujours personne en vue.

Cette montée est bien escarpée, pas mal de randonneurs m’encouragent dont un groupe bien sonore à mon passage, ça me booste et je joue à pac-man avec les randonneurs quand j’entends à nouveau le groupe s’exclamer !!! Bigre de bigre arghhh comment est ce possible, un coureur me suit à 2min, le brouillard aidant, je bourrine pour qu’il ne me voit pas, encore et encore.

Toujours encouragé par les randonneurs, l’un d’eux m’annonce 6ème puis se ravise 7ème, je sais que c’est 9ème. Il est déjà 13h23 quand je bascule en descente, finalement ils ont bien fait de me charger en eau, ici il fait plus frais j’ai beaucoup bu, les niveaux sont refaits, je me sens prêt à nouveau pour attaquer la fin du parcours.

lac Nino
Je sors du brouillard pour découvrir le lac Nino magnifique, c’est très beau, la plaine est immense je crois apercevoir deux coureurs à son extrémité.

Il est 13h39 (1h48 depuis Vergio) quand j’arrive à la tente du lac Nino 9ème, la 8ème est passée à 13h29, le 10ème passera à 14h09 et le 1er à 11h33.

ravito Lac Nino
Les bénévoles sont toujours aussi sympas et s’occupent bien de moi, ils me font le remplissage en eau et me proposent de manger, je me jette sur les pamplemousses en espérant qu’ils aient les mêmes vertus de tamponnage de l’acidité que les citrons. On m’annonce deux coureurs à 10min, un mec et une fille. On m’indique aussi tous les points d’eau jusqu’à Grutelle, je n’arrive à retenir aucun nom mais je comprends qu’il y en a au moins 3.

En tout cas les encouragements du groupe 2min après moi devaient être soit le fruit de mon imagination soit pour un randonneur, pas de coureur au ravito quand je me lève et quitte ce joli coin. Cette partie plate est propice à allonger ma foulée, double objectif, recoller ceux à 10min et m’éloigner toujours un peu de mes poursuivants.

J’ai toujours encore du mal à ne plus me retourner, je suis comme obsédé par l’idée de me faire rattraper car je ne connais pas les écarts avec mes poursuivants, sans arrêt dès que j’ai un point de vu je me retourne pour évaluer mon avance, chronométrant le temps entre deux points.

Le terrain après deux parties plates, descend de plus en plus, un hélico passe, je passe un refuge où on m’applaudit je les salut, devant se profile dans un ciel chargé de gris le crux de cet ultra : Bocca a Le Porte.

Le parcours après une longue descente fini au 78ème km et 14h24 de course par remonter vers ce col, 700md+ à monter, je m’égare au refuge situé à son pied, le balisage passe en rive droite du ruisseau je suis en rive gauche, les randonneurs nombreux m’ignorent superbement, je retrouve au dessus le bon chemin.

Dans cette montée le col joue à cache-cache avec les nuages, je file droit de balisage en balisage sur les blocs, les dalles, c’est ainsi que je fini par doubler une traileuse assise elle me dit avoir sommeil, je poursuis ma route désormais 8ème. Cela faisait depuis Ballone 30km et 6h que je ne voyais plus aucun coureur. Devant moi, un homme monte péniblement avec ses bâtons et une ceinture porte bidon, il s’arrête souvent sous le col, où le terrain est bien difficile (blocs, dalles, pierrier), j’aperçois son dossard lui demande s’il veut manger un truc (j’ai de quoi nourrir un régiment) il me répond assis la tête dans ses mains « ce n’est même pas ça », il est bien fatigué.

J’aperçois aussi deux traileurs qui passent le col et se retournent pour me regarder, je mettrai 12min pour rejoindre le col (83km et 15h37), voilà mon écart est clair, je suis 7ème et les 5 et 6 ne sont pas loin devant.

Les randonneurs au col sont très sympas ils m’invitent à choisir ma trajectoire et me laissent passer, ils sont plusieurs à me dire que le ravito est tout proche, j’ai du mal à le croire, je mise sur Grutelle, mais non ils ont raison, je n’ai pas intégré ce ravito haut perché et salvateur.

ravito sous Bocca alle Porte
Il fait froid, mais les 4 bénévoles sont toujours au top, je sors ma poche à eau pour montrer qu’il m’en reste, elle est vide… outch heureux de pouvoir la remplir, on me propose compotes, bananes séchées, je prends tout ! On m’indique 1h30 pour rejoindre Grutelle, ce sera exactement le temps qu’il me faudra !!

Les nuages donnent une ambiance terrible, le tonnerre gronde, quelques gouttes de pluie, ici je prends la mesure du Gr 20, les bâtons ne servent à rien, je les jette en contre bas des passages à désescalader, technique, aérien, exposé, je pense aux suivants et à ceux qui passeront de nuit…en tout cas, le point de vue sur les lacs Capitellu et Melu est le plus beau du parcours.

Je fini par quitter le Gr 20, un vieux bénévole m’indique la direction à suivre, je file droit de balise en balise, elles sont très éparses, la fin m’impose un énième passage de désescalade à moins qu’il y ait un sentier, pas le temps de chercher, y a une marque à 300m en contrebas, je balance mes bâtons et c’est parti.

Capitellu
Maintenant je suis sur les marques jaune, je circule entre Capitellu et Melu, la descente est composées de petits sentiers en terre et de longs passages en bloc ou dalle, je commence à revoir des promeneurs qui cherchent Capitellu. A Melu un bénévole me pointe, je file, un pêcheur me fait signe, j’ai hâte de rejoindre Grutelle.

Mes chaussures commencent à se charger de gravillons et de petits morceaux de bois, je continu mais les ampoules gonflent au fur et à mesure que mes chaussures se remplissent, pas le temps de les vider, enfin si mais je suis taquet…

Avant Grutelle, j’entends de coureurs devant puis derrière, je me retourne personne, devant non plus, les voix se font plus fréquentes, je ne sais pas trop si ce sont des randonneurs dans des bergeries ou au bord de la Restonica, ça m’embrouille.

ravito Grutelle
Le chemin de pierres qui mène à Grutelle me fait mal aux pieds, toujours le manque de lucidité, j’arrive les ampoules en surchauffe au ravito, accueilli comme un roi de la formule 1 après 17h12, les bénévoles sont au top, je mange sans doute trop, dans un style glouton je fourre tout dans ma bouche, je repars avec la gueule d’un hamster.

7ème en 17h12, la 8ème arrivera 18min après, les 5 et 6 sont à 13min devant. 88,7km 6900md+, les voyants sont au vert jusqu’aux hanches, orange sur les jambes et rouge sur les pieds, les chaussures sont vidées (il était temps).


Grutelle – Corte (23km / 1100md+ / 4h18)

Mon frangin est au taquet, sur le front du suivi live à base de pdf, il interroge l’organisation pour avoir le plus d’info possible, il m’encourage et me précise les classements qu’il peut avoir, c’est top, je lis les messages dans les endroits calmes où je peux ne pas regarder où poser les pieds, ça me remonte le moral, qui parfois baisse, mais faut rien lâcher toujours avancer.

Me voilà donc sur la fin du parcours à vider mes chaussures qui dans cette forêt, se gavent comme des oies d’épines de pins et autres débris qui me laminent les ampoules, autant dire ça commence à me faire doucement chier ces douleurs, au propre comme au figuré, j’en profite pour déposer de quoi faire vomir mes poursuivants…mon frère avait quasi la même idée.

Mon lecteur mp3 censé durer 22h, tombe en rade après 17h30, je cherche en vain un câble pour le relier à mon chargeur de batterie, ce sera donc sans zic que je fini la course, à l’écoute de « mon corps et de mes hallucinations auditives ». Des coureurs de temps en temps parlent à 2min et je me retourne, il n’y a personne, je fini par m’y habituer et essai de me focaliser sur l’avant de la course, il serait temps. Et comme par hasard je me mets à entendre des coureurs devant alors qu’il n’y en a pas… oui je sais l’ultra ça craint un peu.

La lassitude me gagne bref, ras le bol de ne pas voir le début de la dernière montée qui permet de changer de vallée, à chaque petite bosse je crois que c’est la bonne mais non faut encore descendre, enfin au 94ème km (18h08) j’entame la der des der, après ça descendra jusqu’à la fin.

Durant cette montée des spectateurs postés sur le sentier m’encouragent je ne sais pas si je dois les rejoindre en traçant direct ou en suivant le sentier car une mémé me dit de monter direct et un homme tend son bras à gauche, bon je prends le plus court, le nez dans le maquis les genoux qui trainent au sol, c’est raide… la mémé approuve la trajectoire par un hochement de tête les deux autres moins…

Je décompte le temps jusqu’au prochain encouragement et le D+ avalé mais je n’entendrai rien, plus haut le vent souffle fort, ma gorge me fait mal, je ventile tellement qu’elle est irritée. Mon regard scrute le terrain mais rien en vu, ils avancent fort même si je les entends de temps en temps (dans ma tête).

Capellaccia
Au loin les bergeries de Capellaccia, des personnes me regardent sans rien dire, je suis à bloc, bientôt la fin, bien raide encore le balisage va droit dans le maquis, c’est rude mais clair, faut pas trop chercher, droit dans la pente, simple comme principe de montée.

J’arrive en haut de cette dernière montée après 1h depuis le bas, 97km et 19h08. Les 4 Corses qui m’observaient viennent à ma rencontre, ils me donnent du chocolat, j’aurai même pu partir avec la tablette tellement ils insistaient, ils me donnent de l’eau et me demandent comment je vais, l’un d’eux me dit que j’ai changé de continent… sûrement de galaxie vu la gueule que je dois avoir, il rajoute que je marche sur des œufs, oui ce sont mes ampoules, moment sympathique.

Plus bas le dernier ravito d’Alzu, pas de coureur en vu. 19h19 de course, 98km. Toujours 7ème, les 5 et 6 ont toujours 13min d’avance et la 8ème passe en 20h13.

Le vent est fort et les bénévoles toujours sympas, je prends une chaise avant de commencer à parler. Fatigué, je vide mes chaussures « tu as raison ce sont des cailloux Corses, ils doivent rester ici », toujours au top, ils me remplissent ma gourde, discutent, la course est faite à priori mon classement ne bougera plus, je mets une veste.

Derniers moments sympas avec eux, ils m’indiquent encore 13km et 2h de course avec une partie roulante.

Je les quitte dans ce vent froid, aucun coureur en vue depuis Capellaccia, mes pieds sont une galère, la forêt se charge de remplir mes chaussures que je vide par moment mais j’ai envie de finir.

Je découvre la signification de parcours roulant dans cette vallée du Tavignanu, c’est sûr que comparé à Bocca alle Porte, sinon y a encore des remontées, des chemins de pierres mais c’est très beau.

Sur la fin de parcours je croise une traileuse qui doit attendre celle qui me suit, je commence à me dire qu’elle ne doit pas être loin, plus loin un dernier ravito est improvisé, je ne m’arrête pas, 3 min plus tard, des encouragements provenant du ravito, bigre je me fais rattraper.

Une décharge d’adrénaline à 4km de l’arrivée me fait accélérer, le cardio en témoigne, je n’ai plus mal nulle part, ni les pieds, ni la tendinite du releveur, pendant quasi 2,5km j’accélère pour garder ma 7ème place. J’imagine, le basque ou les Italiens ou le mec avec sa ceinture ventrale ou la 8ème me doubler, un cauchemar…

Puis ça retombe et les ampoules et la tendinite du releveur gauche reviennent me réveiller. Le soleil se couche, dans la pénombre je fini par sortir de la vallée et rejoindre les lumières de Corte, à nouveau des encouragements, je traverse les ruelles content d’en avoir fini, la dernière ligne droite avec Tiago et c’est la fin, Céline me trouve complètement à côté de mes pompes, comme ailleurs.

7ème 21h30 (30min d’avance sur ma projection) 111km et 8000md+. A 12min des 5ème ex-æquo, la 8ème arrivera à 23h01, le 1er sûrement déjà douché et dans son salon est arrivé à 18h.

Parcours cru, rustique, magnifique et technique, pas trop long, mon meilleur ultra, je n’ai pas trop souffert finalement mis à part des ampoules, le reste a été gérable. Superbe ambiance, bénévoles au top, les organisateurs sont aussi bien sympas.

Beaucoup de messages d’encouragements par sms, toujours bon à prendre. Merci.

 Les photos sont issues des pages facebook de la Restonica Trail et ont été prises pour la majorité par René Sammarcelli notamment celles prises par hélico, en vous remerciant pour l'ensemble de ces clichés.

Commentaires

Articles les plus consultés